vendredi 26 novembre 2010

La fin de l'homme, Samson




Répit.
Couleurs sombres, fatigues ardentes d’un faux jour qui tombe. Je m’enferme et prie Dvorak et Saint-John Perse. C’est le grand démarrage. Je prends l’alcool et brûle, brûle, brûle ma raison. Oui brûlent les forêts, les dénis d’Ether, des particules de lune. La lance de l’ennui pour alimenter brasiers et insouciances, et la flamme délirante de ton nom, et nos réclusions sensées. C’est la nuit qui fait débuter mon jour, c’est le bleu fixe et pâle de l’ultime regard d’Orphée sur Eurydice, le jaune du poète, le noir du sang des lions, le règne d’Aphrodite, ou bien la chaleur douce des larmes retenues. C’est tout cela qui me fait vivre au soir. Je grimpe d’épaisses marches. En bas, tout en bas, des bras aimés qui vers moi se tendent et m’interpellent, minuscules, pourtant si proches.

Constats amers. Expériences aisées.
Ai-je opéré ainsi, calciné mes frères durant leur sommeil oublieux alors que je veillais ? Sous quel acide effet, moi l’enfant des artifices ? Doux monde, jolie farce, soupir consumé, je m’étale sur un lit de cendres, ici même où par ma science la ville entière a brûlée. Marche transie dès lors, à peine plus tranquille qu’au matin. Chaque nuit comme comburant alimente mes vengeances. Je dors sans soif, effrayé par mes douloureux orgasmes, et me réveille en pleurs. Toujours, chaque matin.

Folie. Tout brûle et puis rebrûle. C’est l’heure de se lever.
Le métro brûle, la ligne une, la plaignante femme brûle que je bouscule pour entrer, brûlent les visages las, les malhonnêtes, les âmes défroquées parce que tendues et blêmes, brûlent les beaux mâles aux paroles inutiles, qui trahirent honteusement l’homme par leur honneur et leur fierté, qui le tuèrent. Brûle l’honneur et brûle la fierté. Chute des temples du délire, disparition des murs renégats. La fin de l’homme, Samson. Brûlent les hérauts des grandes tours, brûlent les badauds de l’ouest parisien. Ceux qui brandissent le glaive périront par le glaive. Huit heures du matin n’existera plus que dans le sang.

Passion.
Ces théorèmes m’amusent, Ô ma mie. Il fait chaud à Paris car tout s’encrasse, et toi seule m’apporte encore l’ivresse et l’amertume paisible des bancs de neige de jadis. En toi je retrouve la candeur du macareux, l’absence légère de l’albatros, l’étoffe du tournepierre, la violence des glaces qui se heurtent et le regard ferme de ces monts zélés qui fondent dans les fjords. Toi seule a le pouvoir de rassembler mes forces, et c’est depuis ton refuge au nord de l’Arctique que j’étudierai les scénarios de mon déclin. Tu rêves, vieux ? C’est bientôt onze heures, putain. L’être qui te fait face aura bientôt fini d’aspirer ton âme, en la pénétrant d’épines structurelles, et tu seras encore là à réciter tes vers.

Passion #2.
Ces théorèmes m’amusent et c’est ma vie que je déplace sur un échiquier d’airelles et de bruines. L’écoute est sélective, la plume et les carreaux, et j’écris quelques lignes pour éveiller en moi les longues mémoires sourdes. C’est la théorisation des théorèmes qui m’excite, au fond, non la mathématisation systémique primée par mes chers maîtres. Béni soit leur savoir fétide et niais. C’est l’amour que je te portais qui m’a perdu, tes yeux assombris par l’effluve lacrymal n’avaient de sens que pour moi et ma jeune bêtise. Aujourd’hui c’est ainsi que j’existe, en chérissant les femmes infidèles.

Repas.
Douze affairés, qui partagent ma tablée. Lucien, Vernon et Dorothée, Noémie, Serpent et François-Blaise, Sidonie, Falace, Cassiopée. Nous parlons d’effroi, d’accidents, de futur, d’arbitrage, d’ambition, de ravalements, de synthèses infléchies, d’alibis, d’évidences de vérité, d’économie. Nous parlons d’images grises, de sols verdâtres. D’honneur, vieilles putes, et de fierté. Sous-sol mal aéré, depuis tant d’années déjà les techniciens s’affairent, mais la poussière ici demeure et leste les bronchioles. Me nourrir est un calvaire, et me voilà si frêle. Stabat Mater.

Repas #2.
Ou bien douze affairés, oui, qui viennent en silence et que j’appelle par leur nom ! Chères années folles, mes tendres amis ! John Fante ! Kerouac ! Bergman et puis Dylan ! Burroughs ! Et toi mon cher Dagerman, depuis ta tombe enneigée ! Klaus Mann le germain, Hamsun le grand nordique ! Lovecraft ! Faulkner, Whitman ! Jouissance, jouissance, Louis-Ferdinand Céline ! Reprendrez-vous des pâtes, du café ? Le Soleil n’aurait-il pas jauni, depuis l’année passée ? Les femmes sont douces et belles, n’est-ce pas, et je caresse leur grand corps, nous énonçons des phrases d’ignorance pour la postérité ! Chères années folles, mes tendres amis ! La brume et les essences parcourent mon être d’un grand frisson, et le repas déjà se clôt… Ne partez pas encore ! Ne partez pas, c’est mon âme que je vomis ! Où suis-je ? Que retiens-je ? Qu’observent ces passants ? La bave aigre coule au long de mon destin. Réels et irréels s’encombrent au parloir, et font reluire ces malheureux.

Passion #3.
Repères d’après efforts. Le bleu du ciel peine à masquer le déclin du Soleil. Il est quatorze heures dans une ville froide, c’est l’automne ou le printemps, c’est l’été peut-être et les ruelles sont vides, ou bien l’hiver, et le gris des âmes transparait sur le bitume éreinté. Je pense au souffle que tu me prenais, aux rémissions, aux marches dominicales le long des tombes d’inconnus, où tu ne me voyais pas, et je m’allongeais souvent à leur côté, pour sentir l’espace d’un instant la teneur de l’au-delà. 26 Novembre 2010. Le président à la télé, il change un peu les ministères. Mes amis n’ont pas de nom. Les élections se déroulent dans le calme en Salvatrie. Maria s’est pendue, Francis est satisfait. Les enfants jouent dans le sable épais et morne d’un jardin de Paris. C’est l’hiver. C’est l’hiver dans ma tête. Et je t’aime toujours autant, et je crie, et les morts et les vivants se confondent mécaniquement depuis la nuit des temps, dans une indifférence nauséeuse. Bientôt l’heure de rentrer.

Café, pause et départ.
Production d’effets écrits, un dossier, des rapports, des lignes imbriquées, un mot, deux mots, des mots. Production de paroles longues et sans teneur ou bien trop courtes, de discours, compliments, arnaques sans rythme ou larmoiements exigus. C’est le prix d’un salaire, et l’on y prend goût parfois. Mais pas aujourd’hui, petite, alors qu’une route se construit entre les marais de Louisiane et le cahier que je tiens, alors que l’étreinte se resserre autour ma jeunesse. Alors que la peine assiège les femmes que j’approche, alors que bientôt ivre je longe les chemins gris des hautes tours et que le vide parait moins bas, moins inaccessible. Tremble, ambitieux ! Tremblez mécènes du grand leurre ! Chaque sacrifice scelle un peu plus la fin de votre empire ! Chaque goutte du sang des faibles est une entaille plus profonde encore dans vos blanches carotides ! Comme j’exècre votre nom ! Et je reprends ma plume, et mon cahier, et je me casse, il est vingt heures, je serre quelques mains, et untel au lointain qui rit en m’observant valser.

Répit.
Couleurs sombres, fatigues ardentes du grand soir. Je m’enferme et prie Gödel et Moussorgski. C’est le grand démarrage. Je prends l’alcool et brûle, brûle, brûle ma raison. Oui brûlent les forêts, les émissions d’éther, les particules de lune. La lance de l’ennui pour alimenter brasiers et défections, et la flamme délirante de ton nom, et nos réclusions sensées. C’est cette nuit qui clame la fin des jours, c’est le bleu fixe et pâle de l’ultime regard d’Orphée sur Eurydice, le jaune du poète, le noir du sang des lions, le règne d’Aphrodite, ou bien la chaleur douce des larmes revenues. C’est tout cela qui me fait vivre au soir. Je grimpe d’épaisses marches. En bas, tout en bas, des bras aimés qui vers moi se tendent et m’interpellent, minuscules, pourtant si proches.

1 commentaire:

  1. La chance que j'ai, d'être tombée là aujourd'hui.
    Un peu de Texas, du coup, dans le balbutiement de ce printemps parisien qui n'en finit plus de ne pas arriver.
    À bientôt, c'est sûr.
    Pauline
    www.etlecoeurquibat.com

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